Bois
Hauteur : 193cm
Epoque présumée1 : 18ème siècle
Population Yiman
Rivière Korewori
Province du moyen Sepik
Papouasie Nouvelle-Guinée
Provenance :
Collection Wayne Heathcote, USA, Royaume-Unis
Christie’s, Paris. 19 juin 2014, lot 103
Collection privée
légende photo :
Wayne Heathcote dans sa maison avec l’yipwon
Le premier yipwon parvenu en Occident semble être entré en 1913 au Museum für Völkerkunde de Berlin en même temps que de d’autres nombreux objets que venait de collecter la Kaiserin-Augusta-Fluss Expedition sur les berges du Sepik et de quelques-uns de ses affluents.
Mais c’est seulement le 24 mai 1959, en débarquant sur la rive droite du Korewori, affluent méridional du Sepik, à l’endroit où l’expédition de 1912-1913 avait rebroussé chemin, qu’Alfred Bühler, dépêché par le Museum für Völkerkunde de Bâle, assisté d’Anthony Forge, put observer un yipwon dans son cadre rituel, puis d’autres les jours suivants quand ils s’enfoncèrent dans l’arrière-pays.
Selon leurs notes de terrain et les textes publiés par Bühler et Forge à leur retour, les habitants de New Chimbut, village qu’ils avaient fondé en quittant leur forêt pluviale, conservaient leur yipwon dans une maison des hommes improvisée, au milieu d’offrandes variées et à l’écart des regards féminins2.
Les enquêtes que mena sur place en 1961 et 1963 Eike Haberland, occupant la chaire d’ethnologie à l’Université de Frankfort, publiant en 1964 le long mythe de création les concernant, firent mieux mesurer l’importance rituelle de ces figurations anthropomorphes monoxyles : dépassant généralement la stature humaine moyenne, elles sont pourvues d’une jambe unique et ne pouvent être dressées qu’appuyées de profil contre une paroi.
En langue pidgin, les yipwon étaient également appelés wanleks, en référence à leur jambe unique. Dans la mythologie du peuple Yimam, rapportée par Haberland3 : « Ce sont les copeaux tombés de la taille du premier tambour garamut sculpté par le Soleil, fils de la Lune et esprit primordial qui donne la vie, qui prirent vie sous la forme de génies wanleks.
Ces créatures démoniaques qui recherchaient chasse et guerre, considérées comme les fils du soleil, allèrent vivre avec leur père dans la maison des hommes qu’elles ne quittaient jamais. Un jour que celui-ci était parti chasser, un parent passa le visiter, les génies le tuèrent, s’enivrèrent de son sang et dansèrent autour de sa dépouille, sous le regard de la Lune.
Les démons se rendant compte qu’on les avait observés, saisis de peur, se réfugièrent dans la maison des hommes, s’alignèrent contre le mur et se mirent à pousser en hauteur où ils prirent la forme de sculptures de bois.
Outré par le comportement de sa progéniture, le Soleil quitta la terre, mais y laissa les wanleks qui eurent dès lors pour mission de guider les hommes, notamment pour la chasse ou lors des expéditions de chasse aux têtes contre les groupes ennemis voisins».
Ce sont les yipwon que nous connaissons aujourd’hui.
Ces grandes sculptures extrêmement puissantes étaient conservées pendant des générations en tant que propriété des clans. Elles étaient placées dans la maison cérémonielle des hommes, adossées contre le mur du fond, zone la plus sacrée du sanctuaire intérieur de la maison4.
Représentant de puissants esprits ancestraux, les personnages servaient de récipients dans lesquels les esprits étaient appelés pour aider à la guerre ou la chasse. Chaque yipwon avait son propre nom et entretenait souvent une relation étroite avec l’un des hommes les plus âgés du clan.
Selon la description d’un yipwon par Eric Kjellgren5, les figures étaient en grande partie inanimées. Mais avant un raid ou une chasse, l’homme le plus étroitement associé à la figure l’activait en mâchant une concoction de noix de bétel, de gingembre, d’une petite quantité de son propre sang et de substances telles que des excréments provenant du gibier visé. Le mélange mâché était ensuite appliqué sur la figure, qui était également frottée avec des orties pour la rendre surnaturellement « chaude ».
L’approbation spirituelle de l’attaque ou de la chasse planifiée était indiquée par le fait que la figurine se tournait en direction du village cible ou de la zone de chasse (peut-être tenue par l’homme en transe). Si l’attaque ou la chasse était couronnée de succès, la figure était remerciée en l’enduisant du sang de la victime ou de la proie. Dans le cas contraire la figure yipwon ne s’avérait pas utile et était laissée à l’abandon dans la maison des hommes ou jetée dans la forêt environnante 6
L’étude du premier yipwon, collecté lors de la Kaiserin-Augusta-Fluss Expedition et conservé au musée de Berlin, ne fut publiée qu’en 1968 dans l’ouvrage de Kelm7. La même année, l’existence de ces grands crochets fut révélée aux amateurs occidentaux lors de la publication par Eike Haberland8 de The cave of Karawari, suite à l’exposition tenue à New York à la D’Arcy Galleries dirigée par Maurice Bonnefoy. Une seconde exposition présentant plus de 80 de ces figures, intitulée Art océanien, eut lieu au musée d’ethnographie de Neuchâtel en 1970.
Ces expositions avaient été alimentées dans les années 1960 par la collecte de prospecteurs envoyés par les musées, de marchands d’arts premiers ou de pourvoyeurs locaux. Ils arpentèrent la vallée où serpente le haut Korewori et les collines avoisinantes, percées de grottes ayant servi de refuges, de dépôts rituels ou même de maisons des hommes et mirent ainsi au jour ces sculptures rituelles souvent très anciennes.
Notre grande sculpture possède une tête assez naturaliste (considérée comme la partie du corps la plus importante sur le plan spirituel) 10. Les traits du visage sont stylisés, avec un important front et une mâchoire prognathe. Le menton est représenté avec une barbe longue et pointue. Une crête en forme de crochet surplombe la tête : elle est souvent interprétée comme la représentation d’une plume11.
Le corps central à l’architecture en crochets symétriquement recourbés vers l’intérieur représente les côtes entourant le cœur marbir12. À l’origine, notre exemplaire était doté d’un pied, qui a disparu depuis. La profonde patine d’érosion sur la surface de notre pièce suggère qu’elle ait été conservée pendant de nombreuses années dans une grotte.
Ces structures abstraites fascinèrent les artistes occidentaux tant par leur esthétisme que par leur caractère inédit. Elles furent une importante source d’inspiration pour des artistes tels qu’Henry Moore, Alberto Giacometti ou Roberto Matta connu pour avoir possédé un yipwon13.
Notes :
1- La datation faite par le Laboratoire Ciram par la méthode de C14, annonce un résultat avec 95.4% de confiance entre 1718 et 1814. (Rapport scientifique disponible)
2- Gilles Bounoure. 2022, lot 9
3- Eike Haberland. 1964, pp 52-71
4- Anthony Forge 1960, p.6; Haberland 1968, p.iii ; Kocher Schmid 1985, p.199, no.125 ;
Smidt 1990a, p. 82, no.106.
5- Erik Kjellgren. 2007, n°24 pp.58-59
6- Dirk A.M Smidt. 1990a, p.285, no.10
7- Kelm, H. 1968, p.61, n°31.
8- Eike Haberland 1968
9- Jean Gabus, 1970. (La plupart des yipwon provenaient de la collection Maurice Bonnefoy)
10- Friede, John 2005 p.125.
11- Forge.1960, p.7; Kocher Schmid. 1985, pp.199-200, no.125.
12- Haberland. 1964, p.56 ; Friede 2005, p.125
13- Ce yipwon est maintenant conservé dans les collections du Fine Arts Museums of San Francisco
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