Masque de Tunghak

Référence : 168

La découverte d’un masque dédoublé du maitre de Nushagak et son pendant conservé au Phoebe A. Hearst Museum of Anthropology , University of California, Berkeley.

Bois flotté, écorce, pigments
Dimensions :
Hauteur 30cm, largeur 45cm.Hors tout 49 x 45cm
Période historique
Epoque présumée : 19ème siècle
Population Yup’ik
Village de Nushagak
Alaska, USA

Provenance :
Collection Enza & Luca Moioli, Paris, Venise
Collection Denis Ghiglia, La Garenne Colombes
Collection Hans Brundl, Allemagne

Légende photo :
Le masque conservé au Phoebe A. Hearst Museum of Anthropology ,
University of California, Berkeley

Le type de masque présenté ici est une représentation de Tunghak, « L’Esprit d’Ailleurs / Celui qui vit sur la Lune »  en langue Yup’ik. Tunghak est l’être qui règne sur les mammifères et les poissons.  Notre masque fait partie d’une paire dont le pendant, collecté par un agent de l’Alaska Commercial Company avant 1897, fut donné à l’Université de Californie (anciennement Lowie Museum) à la même époque (Phoebe.A. Hearst Museum, Inv n°2-4574). Ces deux masques représentent un  morse.

Selon Sean Mooney et Chuna Mcintyre1 « Par tradition, les masques Yup’iks étaient souvent créés en paire ou groupes de masques liés. Le terme Yup’ik ilakelriit décrit ceci :
Un groupe de masques qui sont reliés par le même propos et la même histoire. La structure des danses et des chants Yup’iks est très formelle, avec un nombre fixé de couplets et de mouvements et ceux-ci sont souvent présentés d’une manière balancée où l’un répond à l’autre.
Le regroupement des masques est lié à cela, et la narration de la danse est représentée à mesure que le Yua de chaque masque est invoqué ».

Selon Johan Adrian Jacobsen2, un des grands collecteurs et collectionneurs de masques Yup’iks à la fin du XIXe siècle, les gens conservaient ces masques dans le qasgiq pour s’assurer chance et bénédiction. Il décrit avoir vu des paires « d’images de charme » de conception similaire.

A la fin du 19e siècle et au début du 20ème, lorsque les masques étaient rassemblés sur le terrain pour les musées, les collecteurs n’étaient pas informés ou sensibles à de telles distinctions. A leurs yeux non entraînés, beaucoup de ces masques leur apparurent comme des duplicatas l’un de l’autre, plutôt que comme membres intégraux de paires ou de groupes.
Ces paires de masques furent souvent séparées.

Ces deux masques forment une paire dédoublée par le Maître de Nushagak pour les besoins du rite s’inscrivant dans le corpus très restreint de la figuration symbolique et cosmique des esprits-morses primordiaux ; ils donnaient au chaman la capacité d’approcher physiquement la déesse des animaux marins Sedna, qui les avait créés, permettant à leur détenteur de solliciter directement la divinité en la visitant par le véhicule de cet esprit-animal auxiliaire.

Le site de Nushagak était à l’origine un centre d’influence et de commerce russe chez les Yup’iks d’Alaska. En 1890 le village de Nushagak avait une population de 268 personnes et  était le plus important de la région de la Baie de Bristol durant le dix-neuvième siècle.
Mais dès 1899 Edward Nelson3, l’envoyé de la Smithsonian Institution en Alaska, notait la disparition des croyances Yup’iks. Outre l’interdiction du culte par les missionnaires arrivés en 1884, une industrie de pêche intensive achevait de détruire le fragile écosystème dont dépendait la culture locale – à commencer par une vision symbiotique et intangible – sacrée – du mode de vie Yup’ik avec la nature et ses esprits.

Et selon Knecht & Mossolova4 : « Les maladies introduites balayèrent la région, effaçant des villages entiers. En 1838, au moins 60% de la population Yup’ik avait disparu.  La diversité régionale et les distinctions sociales au sein de la société Yup’ik s’étaient effondrées. En 1900, une épidémie de grippe décima le reste de la population en trois mois seulement ».

En tant que communauté, le village de Nushagak, havre entre occident et monde Yup’ik, fut  abandonné dès 1902, du fait de l’implantation des pêcheries, de leurs quantités d’ouvriers et de ces épidémies. Et d’ajouter : « La destruction rituelle et systématique des masques suffirait à expliquer, à elle seule, que pas plus de douze masques du Maître de Nushagak nous soient parvenus. Les rapports historiques indiquent qu’après avoir été utilisés dans une cérémonie de danse les masques étaient généralement détruits, brisés, brûlés ou abandonnés dans des grottes ou laissés à pourrir sur la toundra (c’est-à-dire emportés loin du site du village)».

Si nous connaissons approximativement le lieu et la date de collecte des masques conservés au Phoebe A. Hearst Museum, soit avant 1897, il n’en est rien du notre.

Nous savons selon le référent culturel Yup’ik Chuna McIntyre, grâce à sa découverte et l’identification en 2019 dans les collections du Jackson Sheldon Museum dans la ville de Sitka, Alaska, d’un masque pendant de l’Ours Polaire conservé au Phoebe Hearst Museum (Inv 2-4584), que cet exemplaire avait été collecté au Cap Prince de Galles par Sheldon Jackson avant 1899 soit près de 900 km à vol d’oiseau au Nord de Nushagak – une distance inédite parcourue par l’objet avant 1898. Ce qui confirme la dispersion géographique effective sur un territoire extrême, et ce dès le 19e siècle, des masques-reliques du Maître de Nushagak.

Notre masque provenant d’une collection allemande, il est probable que celui-ci ai fait partie des pièces ramenées par Jacobsen lors de son voyage de collecte en Alaska.

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1- Chuna McIntyre and  Sean Mooney. Paitaq, an excerpt from the publication Yua: Henri Matisse and the Inner Arctic Spirit, Earth Song, Heard Museum, Phoenix AZ, October 18, 2018, p.9

2- C’est Johan Adrian Jacobsen (1853-1947), marin norvégien qui en 1877, 1878 et 1881 présenta au Jardin d’Acclimatation les premiers eskimos et lapons jamais vus à Paris. Il les exhiba alors dans toute l’Europe. Le célèbre Hagenbeck, pour lequel il travaillait, tenait en effet à montrer dans son cirque, en plus des fauves, des indigènes et des échantillons de leur industrie.

Cette expérience de racoleur et de collectionneur dans le grand Nord  valut à Jacobsen, âgé de 28 ans d’être engagé par le  Musées Ethnographique de Berlin  pour collecter des spécimens ethnographiques et autres sur la côte Ouest de l’Amérique du Nord.  Au cours des deux années suivantes il  parcouru la Colombie-Britannique, le Yukon et l’Alaska.
Ce sont environ sept mille objets qu’il collecta dont une grande partie entra dans le musée allemand.                 Pour  le reste Jacobsen s’empressa de les vendre à un antiquaire Berlinois.

3- Edward Nelson. The Eskimos about Bering Strait, 1899, pp. 398-399

4- Rick Knecht & Anna Mossolova. Excavating Shamanic Objects  the Nunalleq Site near the village of Quinhagak, Alaska, University of Cardiff, Theory Archeology Group, 2017

 

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